Le sens des parfums Bottega Veneta
Ce que l'on peut lire de la stratégie de la marque sur la beauté, à travers le lancement de ses premiers parfums.
Cette semaine, Bottega Veneta déployait sa première collection de haute parfumerie. Un moment important pour la Maison, qui étend ainsi sa signature créative à une nouvelle catégorie de produits, renforçant par là-même son champ d’action et sa puissance. Une étape également clé pour Kering, dont la création de sa division ‘Kering Beauté’ en 2023 avait précisément pour but le développement en interne des lignes beauté de son portefeuille - plutôt qu’en licence, comme le groupe opérait précédemment.
Une première collection donc, et beaucoup de symboles derrière les choix stratégiques opérés. Analyse.
L’approche par la collection, un mode de distinction.
Pour ce lancement, la marque a choisi d’entrer par une collection de 5 fragrances, sous un format de collection, partageant le même flacon (à l’exception de son bouchon) et le même fil narratif. Une approche qui est devenue le pré-requis des marques de luxe dès lors qu’elles développent de nouvelles lignes de haute parfumerie, notamment chez les récents entrants à l’instar de Celine, Louis Vuitton, Loewe, etc. Cette manière d’aborder les choses, directement inspirée des codes en place dans la parfumerie de niche (Byredo, Frederic Malle, etc.) et initiée par les collections spéciales des marques de luxe historiques sur le parfum (les Exclusifs de Chanel, la Collection Privée de Christian Dior) est déjà un mode opératoire en soi. Il permet de distinguer ces collections des séries plus accessibles en termes de positionnement comme de distribution (ex : The Alchemist Garden par Gucci VS Flora). Aborder le parfum par la collection, c’est placer tout de suite cette catégorie au-dessus des propositions grand public, et l’inscrire clairement dans le prolongement de l’expérience de luxe globale que propose la maison. C’est également la distinguer des incursions précédentes de la marque sur le territoire de la parfumerie, d’acter d’une nouvelle étape. Une intégration seamless, en phase avec la stratégie globale de Kering de réintégration, symbolique et stratégique, de la beauté.
La Maison en fil rouge, et non le créateur.
‘Venise’ est présentée comme la colonne vertébrale de cette collection, consacrée comme source inspiration, et lieu du lancement - au sein du Palazzo Soranzo Van Axel, espace culturel et VIC imaginé par la marque en mai dernier. Ce lien à l’Italie traditionnelle est intéressant car, bien que cette ligne soit présentée comme développée par Matthieu Blazy, elle rattache par une connexion directe la Maison de mode, déconnectant partiellement, par ce jeu, le créateur. D’ailleurs, le récit qui entoure la collection joue avec les éléments de langage propriétaires à Bottega Veneta, faisant référence à un ‘Intrecciato’ d’ingrédients - l’Intrecciato (‘entrelacé’ en italien) étant le nom donné au cuir tressé signature. Cette opération de glissement du designer à la Maison est particulièrement significative, et témoigne d’un apprentissage des expériences de ses prédécesseurs. Notamment de la Maison Celine qui a bâti tout le récit de ses parfums comme un journal relatant les inspirations d’Hedi Slimane. Il va être alors intéressant de voir comment cette dernière va reconnecter ses parfums à sa propre histoire, suite au départ de son designer.
Le flacon-sculpture.
Le flacon est pensé comme une sculpture, recréant les effets du verre soufflé à la bouche, inspiré des techniques traditionnelles de soufflage du verre vénitien et posé sur un support en marbre Verde Saint Denis. Incontestablement sublime.
Il est aussi intéressant d’analyser que celui-ci a été pensé comme un objet à (ex)poser, s’adaptant ainsi parfaitement aux nouvelles pratiques qui ont transformé la salle de bain ou la chambre en espace de démonstration de son identité et de son goût. Néanmoins, il convient également de noter qu’il ne s’adapte pour l’instant pas aux usages de sa clientèle coeur de cible, souvent amenée à voyager, l’objet étant en soi assez peu transportable. La maison ne devrait donc tarder à en développer une version adaptée, ce qui peut représenter une opportunité intéressante, celle de proposer pour un même produit deux versions bien distinctes, aussi indispensables qu’indissociables. Bien qu’il existe déjà une version présentée comme ‘pratique et pour le voyage’ mais qui, présentant les 5 fragrances ensemble, est comme son nom l’indique, un ‘Discovery Set’ plutôt qu’une véritable alternative nomade.
Le silence du nez.
La marque reste évasive quant au parfumeur derrière chacune de ses fragrances, faisant reposer le processus créatif sur les épaules de Matthieu Blazy, spécifiant son rôle à l’origine des parfums. Un silence volontaire qu’il semble possible de lire comme une volonté d’indépendance totale de la beauté pour Bottega Veneta. Un acte qui ne relie ces créations à aucun acteur extérieur, et, chaque nez étant porteur de sa propre image, évite de rajouter une ligne, une strate de lecture, à la page que la marque est en train d’écrire sur ce segment.
L’incursion du contemporain
La marque fait un pas de côté dans son récit, plutôt focalisé sur des registres du traditionnel et de l’artisanal, en recréant, pour ses images, les bouquets de ses compositions par une esthétique qui évoque l’intelligence artificielle. Une incursion futuriste qui modernise l’approche de la naturalité, tout en valorisant les ingrédients, et, par là, la qualité des matières premières propre à la parfumerie de luxe.
Le flou du récit.
Le récit reste quant à lui un peu flou : une évocation de Venise - mais comme support d’un discours sur des senteurs issues des différents coins du monde entremêlées - des références à des instants de vie - l’eau salée sur la peau pour « Acqua Sale » - ou des états - la sophistication ou la sensualité pour « Déjà Minuit » - des noms qui mélangent indifféremment les langues : français, italien, anglais. Une légèreté dans le récit qui n’est pas spécifique à Bottega Veneta, mais qui semble au contraire récurrente lors des conceptions en collections. En effet, avec la même identité et un lancement simultané, comment écrire 5 récits forts et distincts ? Comment faire vivre ensemble ces histoires parallèles ?
Un point qui soulève la question plus générale de la capacité de ce mode de conception en collection à créer des parfums iconiques, capables de sortir du lot, alors même qu’ils co-existent dès leur apparition et ne construisent pas d’identité visuelle propre. Le numéro 5 n’était pas dans une collection, coincé entre le 4 et le 6. C’est sans doute de là qu’arrivera la limite à l’exercice contemporain de cette approche, et qui fait attendre la marque qui renouvellera le récit du parfum à la fois niche et de luxe, sur une fragrance unique. Le succès commercial incontestable de « Baccarat Rouge 540 », avec son fil narratif bien tissée sur l’alchimie, montre qu’il y a encore de la place pour les parfums à histoires.
Ainsi, Bottega Veneta a ajouté une nouvelle pierre structurante à l’univers qu’elle construit intelligemment depuis plusieurs années et Kering a posé les premiers jalons de son approche intégrée de la beauté. On pourra regretter que le lancement de ces parfums ne se retrouve un peu absorbé par le déploiement, quasi-simultané, de la nouvelle campagne de la marque, portée par Jacob Elordi, qui a particulièrement attiré les regards. Mais il serait bien malvenu, dans une période où l’attention des cibles est si difficile à capter, de critiquer une marque capable de réussir l’exploit deux fois en une semaine.