L’équation insoluble de Burberry
Comment la dissonance de ses messages participe des difficultés de la marque.
Alors que défilait cette semaine Burberry, les questions se posent sur la pérennité à la tête de la marque de son directeur artistique Daniel Lee. Pourtant, il semble que la question ne réside pas vraiment là.
En effet, depuis l’arrivée de ce dernier à la direction artistique, la marque a accéléré sa stratégie de s’imposer comme une « Modern British Luxury brand ». Malheureusement, en 2023, le bénéfice net du groupe a reculé de 45% sur un an à 270 millions de livres, pour un chiffre d'affaires qui a cédé 4%, témoins des difficultés opératoires de cette transition. Evidemment, le contexte d’une économie du luxe en berne n’a pas aidé. Mais ce n’est pas la seule raison, et la dissonance de ses messages de communication pourrait bien en être une non négligeable.
En effet, la marque peine sans doute à imposer sa nouvelle posture par le fait qu’elle mobilise en permanence des signaux très forts qui se télescopent et construisent une image mentale parfois floue pour le consommateur.
Heritage & Patrimoine
La marque bénéfice d’une histoire qui la rapproche des maisons de luxe traditionnelles. Elle jouit d’un héritage et d’une histoire - elle a été fondée en 1856 - d’un produit issu d’un savoir-faire particulier - le trench dans la gabardine de coton inventée par Thomas Burberry -, des codes qui font partie de la culture commune - son motif Nova Check - la reconnaissance de la Famille Royale, etc. Mais, de ce patrimoine, elle fait assez peu de choses, concentrant son discours sur la pérennité de ses produits, sur leur fabrication actuelle (sur le site par exemple, tout le discours est concentré sur les débuts de Thomas Burberry, et sur les produits, peu de choses entre les deux). Elle fait souvent l’impasse sur toutes les anecdotes et petites histoires qui lui donnent son ancrage, là où d’autres tirent au maximum sur les fils de leur glorieux passé. Et même si la marque vient du vêtement utilitaire, ni de la mode ni de la maroquinerie comme c’est le cas pour la plupart des marques de luxe, elle est tout de même une matière à histoires.
Familiarité & lien affectif.
Contrairement à d’autres marques de luxe, la marque a quelque chose d’infiniment plus populaire, de plus accessible. Son histoire l’a faite entrer à un moment dans presque chaque famille anglaise, bourgeoise ou populaire, des parties de chasse aux “casuals”, elle appartient quelque part à tous. Elle est un monument, une part de l’Angleterre réelle et de celle que l’on projette. D’ailleurs, dans sa communication sous l’égide de Daniel Lee, elle a joué franchement de ce registre en exploitant tous les codes du Royaume-Uni et de sa culture populaire, se les réappropriant au profit de la marque : stations de métro, English breakfast, Harrods repeint en bleu... Une façon à la fois de parler de son histoire tout en faisant un clin d’oeil à une génération de consommateurs avertis qui s’amusent de ce second degré.

Elle est de ces marques à l’affect extrêmement fort, avec lesquelles chaque anglais a potentiellement un souvenir, un moment de son histoire personnelle. Cela suscite un sentiment de proximité particulièrement puissant chez le consommateur, mais qui peut aussi se transformer en celui du rejet quand la marque opère des changements de positionnement - comme monter trop en gamme. Cela peut donner l’impression qu’elle rejette ce qu’elle est, et, par extension qu’elle renie un peu des souvenirs et de l’histoire que l’on a avec elle.
Direction Artistique edgy
Sous ses derniers designers, la marque a opéré une transition sur son vestiaire, construisant notamment avec Daniel Lee une proposition mode solide et des accessoires forts. Ce dernier a également poussé un cran plus loin que tous ses prédécesseurs l’image de la marque, en opérant une direction artistique à la fois très aspirationelle (identité, photo, casting, set impeccable) et très cohérente (mobilisant à chaque fois les codes de la marque et de l’Angleterre de manière très inspirante). Une signature esthétique du niveau des maisons de luxe, parfois même supérieure à sa concurrence.






Expérience retail premium
La nouvelle direction de la marque s’est souvent heurtée ces dernières années à la réalité de l’expérience en magasin. Si la quasi-totalité de son réseau de magasins a aujourd’hui été rénovée, ces transformations se sont faites de manière asynchrone avec le déploiement de la nouvelle identité dans ses campagnes de communication - la nouvelle boutique de l’avenue Montaigne n’a, par exemple, ouvert qu’en Janvier 2024. Un décalage pouvant procéder à un effet déceptif lors de la rencontre avec la marque dans le réel, annihilant l’impact des efforts de repositionnement. De plus, le concept de magasin semble plus en phase avec les codes de marques du premium que ceux du luxe contemporain, qui a tendance à ériger ses flagships en extension de sa direction artistique, mêlant signature créative forte, épure commerciale et codes culturels de la marque. Ici, l’offre est plus présente, l’histoire peu visible, la signature artistique moins forte - la boutique n’est d’ailleurs pas signée par Daniel Lee.
Burberry Avenue Montaigne
vs Bottega Veneta par Daniel Lee en 2019
En résumé,
Sous Daniel Lee, la marque a construit une marque en phase avec les codes du luxe contemporain, en terme d’images comme de mode, s’adressant à une nouvelle cible avertie. D’un autre côté, le positionnement prix et l’expérience retail sont plus accessibles, plus proche du premium, pas nécessairement alignés avec la nouvelle identité mode et sa cible, mais néanmoins trop luxe pour la clientèle historique. Enfin, l’histoire de la marque est un entre-deux, bénéficiant à la fois d’un patrimoine intéressant à exploiter mais liée à des produits plus utilitaires que les maisons de luxe traditionnelles.
Ainsi, en matière de communication et d’identité, la marque joue sur des curseurs différents, parfois paradoxaux, attirant des cibles différentes et attisant un sentiment de brouillard qui participe sans doute de ses difficultés actuelles.
La nomination à sa direction de l’ancien président de Coach, Joshua Schulman, pouvait laisser entrevoir que la maison allait entreprendre un chemin similaire à la marque américaine, mais il semble qu’elle souhaite plutôt garder sa trajectoire actuelle de ‘Modern British Luxury’. La marque est à la croisée des chemins. Aucun n’est parfait, chacun a ses qualités et ses difficultés, mais ce qui compte, avant tout, c’est d’en choisir un.