Zara a lancé son premier ‘zarastreaming’ cette semaine. Une opération qui n’a été que peu relayée, pâtissant d’une communication cryptique et éclipsée par le lancement parallèle de la collection avec Stefano Pilati. Pourtant, à y regarder de près, il se peut que la marque ait réussi à produire un objet retail d’un nouveau genre qui pourrait bien servir d’inspiration à beaucoup d’autres.
Le potentiel considérable du live-shopping.
Sorte de télé-shopping revu au prisme de la culture de l’entertainement version années 2020, porté par des streamers superstars, le live-streaming est incroyablement populaire en Chine. 650 milliards d’euros de revenus en 2023 (dont presque 100 milliards uniquement sur Taobao), des prédictions qui estiment son impact à 1000 milliards en 2027, 765 millions d’utilisateurs en 2023 *¹… des chiffres qui donnent le tournis. Son format s’adapte particulièrement bien aux produits de mode et de beauté, l’imposant comme le rouage indispensable d’une stratégie de distribution/de communication efficace en Chine. Rihanna elle-même a animé son propre live-streaming lors du lancement - réussi - de sa marque Fenty Beauty à Shanghai, en mai dernier.
Néanmoins, si les marques de luxe et de beauté ont su identifier l’opportunité business considérable que constitue ce medium, elles peinent toujours à l’utiliser. En cause : ses codes. Musiques, pop-up, animations, jeux, suspense lourdement ménagé etc. l’univers très ‘TV show’ est souvent incompatible avec la sophistication d’une marque de luxe. Beaucoup s’y sont frottés ces dernières années, sans trouver le bon modèle.
Le live-streaming version Zara.
C’est là que Zara intervient. La marque a largement développé son modèle de live-streaming en Chine, avec une équipe d’environ 70 personnes dédiée, touchant près de 800.000 personnes par session, et générant un impact réel sur les ventes*². Le géant de la fast-fashion a affuté son dispositif, construit sa méthode. Et décidé d’en faire une version adaptée aux marchés européens et américains. C’est ce qui nous a été dévoilé cette semaine avec ‘Zara Streaming’, pilier inaugural d’une nouvelle action de la marque.
Le résultat ? 40 minutes de présentation en live où deux mannequins présentent les looks phares de la dernière collection, avec défilement latéral des pièces à shopper en 1 clic. Ce qui fait la différence ? Rien. Et tout à la fois.
Les mannequins. Les streamers habituels sont remplacés par Cindy Crawford et Kaia Gerber, la mère et la fille. La première incarne sans doute l’une des Supermodels les plus emblématiques de l’histoire de la mode, sa fille est l’un des visages les plus populaires des nouvelles générations de mannequins et est suivie par près de 10 millions de personnes sur les réseaux sociaux. Des personnalités à même de toucher un public transgénérationnel, sur-valorisant les produits, tout en sophistication.
Le stylisme. Au lieu de looks composés par le streamer lui-même, la marque a préféré confier cette mission à Carlyne Cerf de Dudzeele, une légende de la mode française, connue pour avoir signé la première couverture d’Anna Wintour pour le Vogue US, pour également avoir été une proche collaboratrice de photographes parmi les plus emblématiques de la photographie de mode : Irving Penn, Richard Avedon, Helmut Newton, Steven Meisel etc.
Le tone of voice. Pas de pop-up dans cette version, pas de musique, mais une discussion intime entre la mère et la fille sur leur relation et leur travail, des commentaires sur le vêtement et le rapport à la mode, et une ambiance de shooting ultra professionnelle.
La vidéo. Un live-streaming tourné comme un ‘behind the scene’ pour une vidéo de campagne de mode, et non comme une simple opération télé-shopping. Une ‘fonction dans la fonction’ qui participe à le valoriser, tout comme le choix du réalisateur, David Lowery, plusieurs fois nommé au festival du film de Sundance.
Avec cet objet hybride, Zara a respecté l’essence du live-streaming - à savoir la présentation live de produits vendus en simultané - mais a inventé une nouvelle façon de faire, plus premium. Bien sûr, elle est encore imparfaite - un peu longue parfois, manquant de story-telling - et la communication n’a pas été la plus impactante, mais la marque a réussi là où les marques premium voire de luxe avaient échoué. Elle ne s’est pas limitée à adopter, de façon littérale, les codes du live-streaming (parfois trop pop ou criards) ni à les considérer comme des obstacles insurmontables car potentiellement incompatibles avec un enjeu de sophistication. Elle a posé les bases d’un nouveau modèle, offrant, à tous, un nouveau terrain à investir.
*¹ Statista.